Participer au jury de l’Exposition Internationale d’Illustrateurs de la Foire de Bologne est une expérience assurément singulière. Un immense hall exposant les 2836 travaux proposés au jury – qui ne devra pas en retenir plus de 80 – est en soit un choc qui suffit à faire s’effronder dans l’instant tout fantasme d'un accès idéal au must de la production internationale en matière d'illustration.

C’est d’abord un dur travail. Rendu complexe par le niveau des participants (un illustrateur de renommée internationale comme un anonyme élève de lycée peuvent y participer, leurs travaux présentés côte à côte). De la méthode, de la rigueur, permettent d’aboutir à une sélection, nécessairement consensuelle, entre les 5 membres du jury : Paolo Canton (éditeur - Topipittori), Carll Cneut (illustrateur), L'uboslav Pal'o (illustrateur) and Ellen Seip (éditrice - Cappelen Damm) et moi-même.

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Émergent d’abord les images qui retiennent l’œil et desquelles on ne peut plus détacher son regard durant les trois jours que durent la sélection.

La force graphique,

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© Ana Botezatu

L’audace chromatique, bookfair3.png

© Nooshin Safakhoo

Ou une profonde singularité, bookfair4.png

© Yu Kim

ont eu ce pouvoir sur le jury.

Ensuite, par strates, émergent toutes ces œuvres riches de promesses.

Format, dimensions, matérialité, impossibles à rendre ailleurs que dans l’exposition, participent pour beaucoup de la première impression, mais fondent aussi l’expression même des oeuvres. Comme ici, le travail très graphique d’Emmanuelle Bastien, tracé sur un papier extrêmement fin, délicat.

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© Emmanuelle Bastien

Certaines œuvres ont une force qui les rend indiscutables. C’est le cas de Simone Rea, dont le travail conjoint sur la couleur, la forme et la texture aboutit à une grande élégance esthétique au service d’un projet narratif très abouti.

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© Simone Rea

Sonja Danowski, habituée de cette sélection, bardée de prix (et pourtant non encore publiée !) propose un style original, apte à créer une ambiance singulière, au temps suspendu comme en photographie, mais travaillée par les techniques plus traditionnelles de l’illustration. Outre les jeux de lumière, ce sont les détails, inattendus ou insolites, de l’image (comme ici ces petits chevaux alignés) qui lui donnent toute sa profondeur énigmatique.

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© Sonja Danowski

Dans le dédale de ces travaux, ou maîtres et copistes voisinent, la capacité à s’inscrire dans un style, une référence, et à les dépasser pour imposer sa propre personnalité a particulièrement retenu mon attention. Hitoshi Nagamine réussit le tour de force d’une cohabitation de l’estampe ancienne avec les pires dérivés du cinéma d’animation. Mais son sens aigüe de la couleur sublime l’ensemble.

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© Hitoshi Nagamine

Et Naomi Munakata donne à ses lithographies, grâce à leurs couleurs restreintes et à leur texture, la chaleur de la gravure sur bois, tout en travaillant l’expression filmique de ses petits chats facétieux.

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© Naomi Munakata

Plus étrange et surprenante est la convocation d’un Glen Baxter par un créateur japonais dont je n’ai pas réussi à savoir s’il connaissait le travail. Quoi qu’il en soit, le style, les jeux de couleurs et de lumières, le sens de l’insolite du créateur anglais rencontrent ici un esprit tout à fait enfantin, y compris dans cette légende dont seule l’extrême simplicité pourrait être accusée de décalage.

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© Satoru Suzuki

Parfois, c’est juste une impression forte, tenace, de familiarité qui sourd d’une image dont il faut quoi qu’il en soit reconnaître la force personnelle.

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© Mio Uchihashi

À l’heure où la fatigue gagne le jury, il faudra pourtant redoubler de vigileance, pour ne pas occulter la grande qualité de dessin :

de Tonka Uzu,

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© Tonka Uzu

de Kayo Matoba

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© Kayo Matoba

Ou de Jung-Taek Oh

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© Junk-taek Oh

Et c’est ainsi que nous serons, ici ou là, saisis, et que nous nous arrêterons, subjugués, par la délicatesse de Mayuko Kuwada,

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© Mayuko Kuwada

Ou que nous tomberons en admiration devant l’art de Chinatsu Hagino, dont la précision des décors et leur profondeur de champ accueillent avec un sens aigüe du décalage (et de l'énigme) ces tendres et sympatiques figures enfantines.

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© Chinatsu Hagino

Et enfin, il y a ces œuvres évidentes, si fortes graphiquement, si intelligentes dans leur style, qui non seulement vous interpellent à la première vision, mais continuent de vous subjuguer à chaque nouveau regard, comme celle, inégalée, de Susumu Fujimoto.

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© Susumu Fujimoto

Pour finir, soulignons d’un exemple toute l'espièglerie de ce concours, dans ce petit écho totalement improbable, entre l’œuvre d’un japonais de 60 ans et celle d’un jeune étudiant français de Corvisart…

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© Simon Termignon


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Lire également, sur ce même sujet, l'excellent blog d'Anna Castagnoli...